Perdu à la veille de sa
retraite
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20 septembre
1902 lancement aux
Chantiers & Ateliers de la Gironde |
CARACTERISTIQUES
Long. 131m2 - Larg. 17m7 -
Creux 7m35 |
Machines |
Déplacement 7552 tonnes |
3 machines vapeur triple
expansion |
Equipage normal 520 |
24 chaudières type
Belleville |
Armement |
Puissance 17000 CV |
8 x 164mm - 4 x 100mm - 10 x
47mm - 4 mitr. -2 TLT 450mm |
Capacité en charbon : normal
880 tonnes maxi 1200 t. |
Vitesse 21 noeuds |
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Le croiseur cuirassé Kléber, Capitaine de vaisseau Lagorio,
effectuait son voyage de retour de Dakar vers Brest où il devait être retiré
du service actif. Parvenu pratiquement au terme de ce voyage, il se trouvait
au large du feu des Pierres Noires au matin du 27 Juin 1917. C'est alors
qu'un veilleur aperçut sur bâbord avant une mine dérivante que le sous-marin
UC-61, Kplt Georg Gerth, venait de larguer. Le Commandant Lagorio
supposant que l'ennemi pouvait être encore dans les parages fit rappeler aux
postes de combat et poursuivit sa route à vitesse réduite. C'est à ce moment
là qu'il heurta une autre mine qui explosa à tribord sous la flottaison, à
hauteur de la chaufferie arrière. L'incendie qui s'ensuivit se communiqua à
une soute à charbon et bientôt le croiseur fut enveloppé de fumée tandis que
l'eau envahissait les compartiments du croiseur qui prenait alors de la
gite.
Surveillant à l'immersion périscopique l'effet de sa mine et craignant que
les français ne parviennent à sauver leur navire, le Kplt Gerth se
demandait s'il ne devrait pas achever le croiseur d'une torpille. Mais,
craignant pour sa propre sécurité en risquant de déclencher l'explosion de
l'une de ses propres mines, il ne parvenait pas à se placer en position de
tir et dut se retirer. Cette situation si elle n'allait pas permettre de
sauver le navire, allait tout de même laisser du temps pour organiser le
sauvetage de son équipage.
A bord du Kléber qui avait réclamé des secours, on tentait de garder
le navire à flot le plus longtemps possible mais c'était une tentative sans
espoir car privé d'énergie électrique pour alimenter les pompes, il
s'emplissait de plus en plus. Dans une ultime manœuvre, avec l'arrière
enfoncé dans la mer et la pression de plus en plus basse dans la machine,
Lagorio tenta de s'approcher assez près de la côte pour s'échouer mais, bien
que la canonnière L'Inconstant ait tenté de le remorquer jusqu'au
Goulet, il lui fallut bientôt se résoudre à donner l'ordre d'abandon. Par
chance, plusieurs navires étaient déjà autour du croiseur en perdition, ce
qui permit de sauver la plus grande partie de son équipage. Le Commandant
Lagorio se trouva projeté à la mer quand son bateau chavira et fut repêché
peu après. Malheureusement, 38 hommes parmi les 568 qui se trouvaient à bord
allaient malgré tout périr dans ce naufrage. Le Commandant Lagorio fut traduit devant un
tribunal pour y répondre de la perte du Kléber mais aucune charge ne
fut retenue contre lui.
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En rouge sur
cette carte les deux lignes de 6 mines (barr.380 et 380a) mouillées par
l'UC-61 sur le passage du Kléber
L'épave aujourd'hui - Profondeur
moyenne 45 m.
Position
48.17.188 N 04.50.404W
(EUR50)
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Partie avant
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Bloc culasse d'un canon de 47 mm
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Tourelle renversée de 164mm
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Affût d'un canon de 47
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Caisse à munitions et douille
éventrée
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Intérieur du blockhaus de
commandement (renversé)
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Un guindeau |
L'ancre, définitivement "à
poste" |
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Toutes les
photos sous-marines sont © Alain Carnot
plongeur brestois. Pas mal d'autres photos derrière ce
lien
:
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Quelques jours plus tard, un
groupe de rescapés
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Citation à
l’ordre de l’Armée
Le
croiseur cuirassé Kléber s’est perdu sur une mine dans
l’Iroise, aux environs de la Basse Royale, le 27 juin 1917. Il
appartenait à la 6ème division légère stationnée à Dakar et il était
commandé par le Capitaine de Frégate Lagorio. Le Kléber
rentrait à Brest pour être mis en réserve d’escadre.
Texte de la citation à l’ordre de l’Armée (Journal
officiel du 16 novembre 1919)
« Le croiseur Kléber ayant touché une mine devant
Brest, le 27 juin 1917, a coulé rapidement ; les officiers et
l’équipage restés à leur poste jusqu’à ce qu’ils aient reçu l’ordre
d’évacuer ont donné le plus bel exemple de courage, de sang-froid et
de discipline ».
Extraits des rapports officiels
Le 26 juin 1917, à 23h30, le Kléber venant de Dakar
atterrissait sur la lueur du feu de Penmarc’h. Après avoir passé à
11 milles environ au large de la Chaussée de Sein, il se trouvait à
5h50 le 27 à 2 milles ½ au sud du feu des Pierres Noires. A ce
moment, le Commandant prit un pilote local et fit route pour rallier
le chenal d’entrée de Brest.
Quelques instants après, vers 6 heures, une mine en surface fut
signalée à bâbord devant. « Je la reconnus, écrit le commandant
Lagorio, quand elle approchait du travers de notre avant, à 300
mètres environ. Nous étions en pleine marche à 12 nœuds. Je ne
pouvais songer à arrêter le bateau à temps pour canonner la mine que
je supposais dérivée du Four pendant le jusant et y remontant avec
le flot. Je fis mettre la barre à droite toute en prévenant la
machine d’être parée à manœuvrer avec l’intention de m’étaler dans
le sud et de couler cette mine qui pouvait être dangereuse pour les
bâtiments suivants ».
Le Kléber prononçait son abattée, quand il toucha par
tribord une mine immergée. Cette mine fit explosion sur l’arrière de
la passerelle.
Aussitôt, le bâtiment plongea de l’avant en donnant une légère
bande. Le premier compartiment envahi fut la chaufferie avant, ainsi
que la soute à charbon qui la sépare des soutes à munitions.
L’eau parvint sur le pont cuirassé avec une grande rapidité et
remplit presque aussitôt le compartiment des auxiliaires avant et la
chaufferie n°2.
Sous l’effet de l’explosion, la lumière électrique s’éteignit
instantanément ainsi qu’une partie des fanaux de secours que le
Capitaine d’armes fit rallumer ensuite.
Les dynamos avant, dont une se trouvait en fonction, furent noyées
ainsi que le thirion avant.
Les transmetteurs d’ordres, la commande électrique de la barre et
le réseau téléphonique devinrent inutilisables.
L’arrivée d’eau par les porte-voix des chaufferies 1 et 2 dans la
machine centrale fixa immédiatement le chef du service machines sur
ce qui était arrivé, ce qui lui permit d’isoler complètement toute
la partie avant du bâtiment. On put alors réussir à remettre les
feux en activités et à maintenir la pression pendant vingt minutes.
On essaya de mettre en marche la dynamo arrière qui était en
veilleuse, mais des étincelles formidables s’étant produites, on ne
put la coupler. Il fut impossible d’isoler la partie avant du
circuit, les installations du bord ne le permettant pas.
On essaya également de mettre en avant le thirion de 600 arrière.
On y réussit tout d’abord, mais il stoppa tout de suite à cause du
manque de pression. On put toutefois le remettre en marche peu
après, la pression étant remontée.
Le servo-moteur put être manœuvré à ce moment.
Tous ces événements se sont succédé avec rapidité.
Aussitôt que l’explosion eut lieu, le commandant donna l’ordre de
stopper, de redresser la barre et fit en même temps lancer l’appel par
T.S.F. Les machines mises en arrière purent étaler le bâtiment. Quand la pression fut revenue aux chaudières, le commandant pensa
d’abord aller échouer son bâtiment dans les parages du Conquet, mais
après réflexion il jugea la chose impossible à cause du peu de
résistance qu’offrirait le cloisonnement. Cependant, pour en avoir
le cœur net, il tenta l’expérience en faisant en avant doucement et
en mettant la barre à droite. « Mais, dès que le bâtiment se fut
déplacé, déclare le Commandant, je sentis nettement la plongée de
l’avant et la bande sur tribord s’accentuer. Je fis alors en arrière
et le bâtiment parut soulagé ».
Il se borna dès lors à manœuvrer les machines de façon à ne pas se
rapprocher de la mine en surface.
Cependant, tout espoir ne paraissait pas perdu, le bâtiment restant
droit quoique s’enfonçant graduellement de l’avant. Le Commandant
espérait que les cloisons avant tiendraient suffisamment jusqu’à ce
qu’un secours lui permit de diriger son bâtiment vers le Conquet en
marchant en arrière après l’avoir évité dans la direction
convenable. Il ne pouvait songer à faire seul cette manœuvre car,
avec le vent qui régnait de la partie sud, l’arrière, qui venait
dans le vent, l’éloignait du point à atteindre.
Vers 6h30, au moment où le Kléber venait de stopper et avait
encore un peu d’erre en arrière, arrivait à toute vitesse l’Inconstant
commandé par le Lieutenant de Vaisseau Poitevin. Cette canonnière
qui se trouvait du côté du raz de Sein avait assisté de loin à tout
le drame et, ramassant ses appareils de dragage qu’elle avait
commencé à mettre à l’eau, fit route immédiatement sur le Kléber
pour se mettre à sa disposition. Le Commandant songea aussitôt à
l’utiliser pour la manœuvre qu’il projetait et lui signala de
prendre la remorque par tribord. En même temps, il donna l’ordre de
disposer une remorque et d’amener une des baleinières.
Pendant que l’Inconstant se préparait à manœuvrer, le
Commandant du Kléber jugeant la situation grave quoique non
désespérée, fit envoyer les signaux de détresse par T.S.F., hisser
le signal N.C. du code et mettre le pavillon en berne.
L’Inconstant cependant, manœuvrant sur l’arrière du
Kléber, avait essayé à plusieurs reprises de lui envoyer son
lance-amarres. Ces tentatives ne furent pas couronnées de succès,
l’arrière étant trop déjaugé. La première manœuvre fut tentée vers
6h38, environ 7 à 8 minutes avant la sonnerie d’évacuation qui fut
faite à 6h45.
La baleinière 1 amenée à ce moment essaya d’apporter à l’Inconstant
la remorque qui avait été disposée. Il était trop tard, car au
moment où l’embarcation accosta la canonnière vers 6h45, la
situation avait empiré et la remorque ne put être prise. Ce fut de
6h30 à 6h45 que la situation devint rapidement mauvaise.
« Au cours des manœuvres de la canonnière, dit le Commandant
Lagorio, je compris, à l’enfoncement soudain du bâtiment, que tout
le cloisonnement des fonds avait dû céder et que l’eau envahissait
complètement l’avant ».
D’après le Lieutenant de Vaisseau Poitevin, la gîte augmenta à ce
moment et la première tentative de remorquage, même si elle avait
réussi, n’aurait pu être de quelque utilité, la situation ayant
empiré rapidement.
Il est probable que la cloison de la chaufferie 2 céda à ce moment.
Il devint évident pour tous que le bâtiment était perdu. C’est
alors que le Commandant se décida à faire sonner l’évacuation…
Quelques instants après l’explosion, le Commandant fit rappeler aux
postes d’évacuation premier temps. Sous la direction de l’Officier
en second, tous les hommes dont le poste n’était pas dans les fonds
se rangèrent sur le pont en bon ordre encadrés par les gradés et
officiers. Ceux qui n’avaient pas leur ceinture de sauvetage la
capelèrent. Immédiatement après, on se mit en devoir de mettre les
embarcations en dehors. Les malades et les blessés furent évacués
dans la chaloupe sous la direction du Lieutenant de Vaisseau Collos
et du docteur Colin.
Vers 6h45, la situation devenait critique, le bâtiment s’enfonçant
rapidement ; le Commandant donna l’ordre à la voix par estafettes
d’évacuer les fonds et d’amener les embarcations.
On se mit en devoir d’amener les vapeurs, puis les deux canots qui
avaient été mis en dehors, mais les manœuvres faites à bras étaient
rendues d’autant plus difficiles que les garants avaient été
mouillés par la gerbe de l’explosion.
Le vapeur 2 prit la cale par l’avant et sa chaudière fit explosion.
Le vapeur 1 dont les braguets étaient engagés ne put jamais être
amené.
Le canot 1 prit la cale par l’arrière. L’Enseigne de Vaisseau Le
Moal, avec une huitaine d’hommes, essaya de le remettre à poste pour
l’amener de nouveau, mais l’eau envahissait déjà l’avant et
l’opération ne put être achevée.
La vedette ne put, à cause de la gîte, tourner complètement sur ses
bossoirs.
Quelques minutes après, entre 6h45 et 6h50, le Commandant faisait
sonner l’évacuation générale et donnait l’ordre de mettre les
radeaux à la mer.
Quand l’évacuation fut sonnée, tout le personnel se laissa glisser
à l’eau, les officiers et les gradés restant à leur poste jusqu’au
dernier moment. Le Commandant, de la passerelle, veillait à
l’évacuation. L’eau atteignit la passerelle. Deux hommes se
trouvaient encore à l’arrière. Le Commandant leur criait de s’en
aller quand il fut enlevé par une lame. Au même instant, le bâtiment
chavirait entraînant quelques officiers et gradés qui n’eurent pas
le temps de se sauver.
Entre temps, les secours arrivaient. L’Inconstant qui se
trouvait à tribord arrière du Kléber dut se dégager vers le
nord non menacé en mettant à l’eau ses embarcations et tout ce qui
était susceptible de flotter. A 6h45 arrivait le Grondeur, le
283 et le chalutier Isabelle, puis peu après le
Saint Guenael.
Un cargo anglais, le Highland Star, venant du Raz de Sein,
se rapproche spontanément ; il y avait également là quelques barques
de pêche et le cotre du pilote.
Tous ces bâtiments multiplièrent les actes de dévouement. Si l’on
n’a pas eu plus de victimes à déplorer, on le doit certainement à
leur activité et à leur énergie.
Nous mentionnons en particulier l’Inconstant, dont le
personnel a eu, en cette triste circonstance, une conduite au-dessus
de tout éloge.
L’ordre et le calme n’ont cessé de régner à bord du Kléber,
officiers et hommes faisant leur devoir jusqu’au bout.
C’est dans un ordre parfait que furent exécutées toutes les
manœuvres. Les officiers et les gradés donnèrent le plus bel exemple
et plusieurs périrent victimes de leur dévouement.
Parmi eux, on cite le Lieutenant de Vaisseau Aurillac, officier en
second, le Lieutenant de Vaisseau Collos, le mécanicien principal de
2ème classe Bleas, le 1er maître de manœuvre Lardier, le maître
canonnier Le Foll, le second-maître mécanicien Gueguen et enfin le
docteur Collin qui blessé probablement par l’explosion d’une grenade
au moment du chavirement ainsi que quelques hommes, ne survécut pas
à ses blessures.
Une dizaine d’hommes furent tués par la chute de l’antenne de
T.S.F. sur les embarcations.
A cette liste déjà trop longue, il faut ajouter 15 hommes dans la
chaufferie 1 et deux hommes dans le compartiment des auxiliaires
tués dès le début.
Au total, une quarantaine d’officiers et d’hommes trouvèrent la
mort dans cette catastrophe.
Le Commandant Lagorio a été recueilli par la baleinière de l’Inconstant
après avoir été soutenu dans l’eau par son matelot maître d’hôtel
Pierre et par le matelot maître d’hôtel des officiers Batany, tous
deux réfugiés sur un petit radeau.
(source : Livre d'or de la Marine Française - guerre 14/18)
Rapport du CF Lagorio au VA Préfet Maritime du 2e arrondissement
Traversée Dakar – Agadir
Suivant les ordres du CA commandant la 6e Division Légère quitté Dakar le 16
Juin à 17h00 avec mission d’escorter Phrygie portant 1150 hommes de
troupes jusqu’à la côte marocaine, puis de rallier Brest. Kléber emmenait
5 passagers sur ordre du GG de l’AOF et 65 tonnes de matériel (fûts et caisses
vides).
Traversée sans incident jusqu’à Agadir. Stoppé le 22 à 07h25 dans la baie où
Phrygie va mouiller sous la conduite d’un chalutier. Phrygie avait
une pièce de machine à visiter. Informé le Ministre de la Marine de notre
passage et de la relâche de Phrygie , ainsi que le chef de la Division
Navale du Maroc.
Traversée Agadir – Brest
Remis en route le 22 à 07h45 et suivi la côte marocaine pendant le jour. La nuit
venue, fait route à 15 nœuds pour couper la route Gibraltar-Canaries et
Gibraltar-Saint Vincent avant le matin. Parcouru 360 milles à 15 nœuds, puis
ralenti à 13 nœuds et contourné le cap Saint Vincent à 250 milles. Passé à 270
milles de Razzo et à 300 milles de Finisterre. Incliné ensuite au NE pour garder
Finisterre à 300 milles et arriver au 46e de latitude le 25.
En compulsant les avis de guerre on pouvait grouper les sous-marins ennemis au
Nord d’Ouessant et près de l’île d’Yeu. Monté à 15 nœuds le 25 à 23h00 en
restant sous le 47e pour le couper entre 6 et 4° de longitude. Demandé
l’autorisation d’entrée le 26 à 21h00 pour ne pas donner l’alerte aux
sous-marins. Atterri à 23h30 sur la lueur de Penmarch et passé à 11 milles au
large de la chaussée de Sein, à l’Ouest des fonds de 100 m, à 03h40. Gouverné
sur le feu des Pierres Noires.
L’officier de quart avait ordre de venir au N70E quand le prolongement du chenal
de sécurité couperait notre route et il me prévint à 04h25 que nous étions à
0,25 milles du changement de route. Le courant donnant une dérive Nord, venu au
N80E. On ne voyait ni l’alignement Minou-Portzic, ni celui du chenal de
sécurité, ni La Vandrée, ni la Parquette. Les points les plus visibles étaient
du côté des Pierres Noires et de Saint Mathieu. Allure 15 nœuds.
A 04h50, stoppé pour prendre le pilote local, puis remis en route à 12 nœuds. Le
pilote me dit qu’il n’y avait rien à signaler et me demanda si nous allions
suivre l’alignement Portzic-Petit Minou. « Non, lui dis-je, nous allons suivre
le chenal de sécurité. »
A 05h00, on me signale une mine flottante sur l’avant bâbord et je la reconnus à
300 m. Nous étions à pleine marche à 12 nœuds et je ne pouvais songer à stopper
à temps pour canonner la mine qui devait dériver du Four au jusant, puis y
retourner pendant le flot. Mis la barre toute à droite et machine parée à
manœuvrer.
Explosion d’une mine sous le Kléber
Le Kléber commençait son abattée quand il toucha sur tribord une mine
immergée à 1/3 de mille de l’alignement Minou-Portzic, phare de Kermorvan par le
Bozmen Ouest.
Explosion à hauteur de l’arrière des cuisines, probablement dans la chaufferie 1
et la soute à charbon transversale qui la sépare des soutes à munitions.
Stoppé, mis la barre à zéro et lancé appel TSF. Les Perruisses ne fonctionnaient
plus et les ordres furent donnés par porte-voix. La commande électrique de la
barre ne fonctionnait pas non plus.
(Nota : Perruisses. — Les signaux étaient transmis aux machines au moyen de
deux Perruisses. Un appareil analogue permettait de transmettre les indications
voulues au servomoteur, dans le cas où l'on gouvernait d’ailleurs que de la
passerelle ; ce dernier appareil était muni, sur la passerelle, d'un combinateur
automatique qui allumait, suivant la position de la clef, le nombre de lampes
nécessaires à la transmission de chaque ordre. Ce combinateur n'était pas très
commode comme manipulation et donnait de fortes secousses à ceux qui le
manœuvraient. D'une façon générale, le Perruisse était un médiocre transmetteur
d'ordres. Outre l’installation compliquée des fils, avec ses chances d'avaries
et la quantité relativement considérable d'énergie absorbée pour son
fonctionnement, cet appareil avait le grave inconvénient de dépendre du bon état
de la canalisation électrique et du bon fonctionnement des dynamos. Quand
survenait un arrêt quelconque, par exemple dans le cas d'entraînement d'eau aux
dynamos, on se trouvait privé à la fois de lumière et de moyens de
communication.)
Le poste TSF ne put transmettre le message et il fallut utiliser le poste de
secours. Dans les fonds, extinction totale, tous les plombs ayant sauté. On
tenta de lancer la dynamo arrière, mais des courts circuits se produisaient
constamment et il n’y eut aucun résultat. On utilisa des éclairages de fortune.
Appelé aux postes d’abandon. Les machines, lancées en arrière étalèrent le
bateau. L’officier en second m’informa que la situation dans les fonds semblait
moins grave qu’on aurait pu le craindre. Donné l’ordre de mettre en action tous
les moyen d’épuisement. Mais la machine m’informa que la pression tombait
rapidement. La sécurité m’informa que le thirion de 600 tonnes (nota : pompe
d’assèchement à vapeur) ne tournait pas. Son local était envahi. L’officier
en second revint me dire que la situation s’aggravait, que la chaufferie n° 2
était envahie et que l’eau envahissait rapidement l’avant. Les chaufferies
arrière donnèrent 14 kg de pression pendant un moment et l’on put manœuvrer la
barre avec le servomoteur. La barre à bras continua à être utilisée. Mais seules
tribord et centrale manœuvraient, bâbord refusant de se déplacer.
Tenté de venir à droite pour diriger le bâtiment vers Le Conquet, et l’échouer
sans perdre de vue la mine flottante. Mais dès le premier déplacement, je sentis
que le navire prenait de la pointe sur l’avant et de la gite sur tribord.
Renversé la machine et le navire partit doucement en arrière et parut soulagé.
L’arrière venait dans le vent et le navire dérivait au SSO s’éloignant du
Conquet. Demandé secours d’urgence par TSF et hissé les signaux du code
international de détresse. La situation ne me semblait pas encore désespérée. Le
bâtiment restait droit, s’enfonçant doucement de l’avant. Battu quelques tours
en arrière pour maintenir Kléber dans sa position à cause de la mine
voisine et pour ne pas fatiguer les cloisons. L’équipage débordait les
embarcations à bras en raison de la faiblesse ou de l’absence de pression aux
treuils.
A 05h30, vu une canonnière arrivant du SW et donné l’ordre de disposer une
aussière et d’amener un canot pour nous diriger en arrière vers Le Conquet. Deux
torpilleurs, un chalutier et un autre bâtiment étaient aussi en vue. L’Inconstant
manœuvra hardiment à plusieurs reprises pour prendre la remorque, mais le
lance-amarre fut manqué plusieurs fois.
La situation empira rapidement et l’avant s’enfonça. Il fallut procéder
immédiatement à l’évacuation des blessés, des malades et des passagers sous la
direction du Lieutenant de Vaisseau Collos et du Médecin de 2e classe Collin qui
les firent embarquer dans la chaloupe et les envoyèrent à l’un des bâtiments de
secours. Je donnai l’ordre d’amener les embarcations. Malheureusement le vapeur
2 et le canot 1 restèrent suspendus par l’arrière. Le vapeur 1, très difficile à
sortir, eut son braguet avant (nota : cordage de secours) engagé et ne put être
amené. Enfin, le canot white situé à bâbord, côté opposé à la gite qui
s’accentuait, ne put tourner sur ses bossoirs. Le navire s’enfonçant rapidement
et l’eau approchant du haut de l’étrave, donné l’ordre par estafette de faire
monter tout le monde sur le pont, de sonner le signal d’évacuation final et de
lancer les radeaux à la mer. Le pilote, resté seul avec moi sur la passerelle
descendit alors. L’eau arriva sous la passerelle inférieure. J’entendis un bruit
de voix et descendit quelques marches pour faire partir des gens que je croyais
attardés. Je vis à l’extrême arrière, déjà très haut, deux hommes auxquels je
criai de se jeter à l’eau. Il pouvait être 06h00.
L’eau me saisit et Kléber coula sous moi. Je fus pris dans les remous, au
milieu de fûts en tôles qui remontaient du fond avec violence et ne vis plus
rien. Quand je pus me rendre compte de la situation, Kléber ne montrait
plus que son arrière chaviré. Des embarcations s’activaient autour du personnel
soutenu par les ceintures de sauvetage. Beaucoup de monde s’était réfugié sur
les radeaux. Ceux de L’Inconstant et des autres navires furent d’un grand
secours. Une explosion retentit à l’arrière et je crus tout d’abord à une mine.
Mais d’après les explications qui m’ont été données et l’impression générale des
voisins de l’explosion, c’est une de nos grenades Guiraud (nota : grenades
anti sous-marins) dont l’amorçage aurait fonctionné. Ces grenades étaient
disposées sur la plage arrière, munies de leur amorçage et de leurs chevilles de
sureté solidement saisies. Elles étaient destinées à être envoyées à l’eau
derrière le bâtiment, sur une glissière, en cas de passage au dessus d’un
sous-marin.
J’ai été recueilli par la baleinière de L’Inconstant après avoir été
soutenu dans l’eau par mon maître d’hôtel, Pierre, et par le maître d’hôtel des
officiers, Battany, tous deux réfugiés sur un petit radeau.
Le commandant de L’Inconstant , Mr Le Poitevin, l’officier en
second, Mr de la Fournière, les officiers et l’équipage ont prodigué à chacun de
ceux qu’ils ont recueillis les soins les plus attentifs et réconfortants.
Je ne puis terminer sans exprimer toute ma douleur sur la disparition de
Monsieur le Lieutenant de Vaisseau Aurillac, officier en second, de Monsieur le
Lieutenant de Vaisseau Collos, officier canonnier, de Mr Le Mécanicien de 2e
classe Bléas et d’une quarantaine de gradés et de matelots dont je n’ai pas la
liste définitive. J’espère que la liste actuelle diminuera.
Officiers, gradés et matelots sont morts dans l’accomplissement de leur devoir.
Honneur à eux !
(Source :
SHD Vincennes)
Torpilleur 283 -
Journal
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