Lorsque le 28 novembre 1886 le petit trois-mâts de 600 tonneaux Tamaris de l’Armement Bordes appareille de Bordeaux en remorque vers la mer, il est probable que son départ n’attire pas beaucoup de curieux tout au long de sa descente de la Gironde. A son bord, un équipage de 12 hommes aux ordres du Capitaine Majou va le conduire jusqu’à Nouméa, sa destination finale.

   Les premiers jours de navigation sont particulièrement calmes, le vent est faible et on ne gagnera que lentement dans le sud pour crocher les alizés. Enfin, après avoir passé Noël et nouvel An en mer, le navire arrondit Bonne Espérance en mettant résolument le cap à l’est. Devant son étrave, des milliers de milles d’océan et au bout de la route, la Nouvelle Calédonie. C’est l’été austral, les vents sont portants et quelques heures plus tard la mâture de Tamaris aperçue un moment depuis le Cap a disparu, avalée par l’horizon.

Un petit trois-mâts barque de l'armement Bordes identique à Tamaris

   Il y a désormais plus de 13 semaines que le trois-mâts est en route. Il a maintenant atteint le cœur de l’Océan Indien et l’estime le situe à quelque distance au nord des îles Crozet. Pourtant, vers 2 heures du matin le 9 mars, le navire talonne sur un récif et commence aussitôt à couler. L’équipage n’a que le temps de se réfugier dans les deux chaloupes avec quelques vivres et de l’eau. Au lever du jour, on reconnaît l’îlot des Pingouins, forteresse volcanique abrupte et inabordable aussi, Majou décide-t-il de poursuivre vers le Nord en direction de l’île aux Cochons éloignée d’une bonne vingtaine de milles. Majou sait qu’un voilier anglais, le Comus, est venu huit ans plus tôt, faire un dépôt de vivres à l‘intention d’éventuels phoquiers naufragés qui fréquentent nombreux ces îles. Trois jours sont nécessaires pour atteindre l’île où l’on débarque à proximité du dépôt du Comus. Les hommes de Tamaris prennent possession du lieu, consommant les vivres du dépôt puis, comme tous les naufragés de cette époque, améliorent l'ordinaire en se nourrissant d’éléphants de mer et de manchots.

 

 

 

   Après quatre mois de séjour sur l’île aux Cochons, la lassitude s’empare progressivement des naufragés : les réserves du Comus sont épuisées, la nourriture locale toujours identique lasse et s’épuise également. Surtout, ils n’aperçoivent aucun navire venu à leur recherche ou à la chasse aux éléphants. Faim et sentiment d’abandon les conduisent à prendre des initiatives.

   La présence des albatros nidifiant dans l’île leur donne alors une idée. Ces oiseaux seront les messagers de leur détresse, mais les marins ignorent tout du trajet des oiseaux et de leurs capacités. Leurs espoirs fous vont se concrétiser dans la rédaction de plaques gravées sur d’anciennes boîtes de conserve. Ils écrivent : « 13 naufragés sont réfugiés sur les îles Crozet. Au secours pour l’amour de Dieu ! 11 août 1887 ».

   Probablement d’autres messages sont écrits et attachés au cou de plusieurs albatros. Mais un seul arrivera exténué sur une plage d’Australie occidentale, à proximité de Fremantle. Ce sera le premier miracle, le 25 septembre 1887.

   L’oiseau aura mis sept semaines pour parcourir avec les détours, plus de 3000 milles… Le second miracle s’enchaîne, car des promeneurs sur la plage remarquent l’oiseau souffrant et la plaque qui brille à son cou. Ils la déchiffrent.

   Pendant ce temps, à l’île aux Cochons, l’impatience des naufragés grandit et ne supporte plus l’attente. Ils savent que plus à l’Est, existe une autre île, vaste du double de la leur, mieux pourvue en animaux et par conséquent plus fréquentée par les chasseurs et leurs navires. Cette île de la Possession est  à quelques 60 milles de là, dans la direction des vents dominants. Ils décident de tenter l’aventure et quittent leur île le 30 septembre. Cinq jours après l’arrivée de l’albatros en Australie ! Tragique enchaînement de circonstances.

   Dans le même temps, en Australie, le Consulat français de Perth est contacté et la lourde machine administrative se met en marche à un rythme tout à fait honorable, compte-tenu de l’époque, des distances et des disponibilités maritimes. L’information concernant les naufragés remonte en effet à Paris, aux Affaires étrangères, à la Marine puis l’ordre redescend d’envoyer un aviso de recherche, ordre qui sera répercuté à la récente base navale de Diégo Suarez. L’aviso La Meurthe, commandant Frédéric Richard Foy est désigné pour cette mission. Le navire appareille le 18 novembre de Diego, soit 7 semaines  après l’arrivée de l’albatros. Une performance.

   La Meurthe est un bâtiment lancé en 1885, donc très récent, long de 70 mètres, large de 10, doté d’une machine à vapeur de 300 chevaux, sa vitesse est de11 nœuds et 44 hommes sont à son bord.

   A toute vapeur, l’aviso fonce sur les îles Crozet qu’il atteint le 1er décembre 1887 après 12 jours de mer. Il se présente face à l’île aux Cochons et une équipe envoyée à terre, découvre le baraquement en ruines des naufragés du Tamaris ainsi que le message suivant laissé en évidence par Majou : «  Le 30 septembre, nos provisions épuisées, nous partons pour l’île de la Possession ». Ils n’avaient pas attendu deux mois l’arrivée du navire de secours. Croisée de malchances.

   La Meurthe appareille alors pour la Possession et visite toutes les criques et plages possibles, elle fouille également l’île de l’Est voisine où elle croit retrouver les naufragés. Hélas ! Il s’agit de chasseurs américains ! Il faut se rendre à l’évidence : les 13 naufragés de Tamaris ont disparu en mer entre les îles aux Cochons et la Possession.

    Tragique destin de marins, illuminé par l’incroyable exploit d’un albatros. Les hommes de Tamaris, tous disparus en mer, ne laisseront aucun écrit de leur aventure ni de leur huis-clos dramatique aux îles Crozet. Force est donc de reconstituer au plus près ces instants probables d'un voyage ordinaire qui s'achève en 1887 en tragédie authentique, avec pour acteurs un voilier, son équipage de 13 marins, des îles australes lointaines, un océan hostile et un albatros.

   C'est justement ce que Jacques Nougier a fait dans ce récit.

 

L’Albatros et le Tamaris par Jacques NOUGIER

Airelle-Editions 30 avenue Praud   44300 NANTES

ISBN : 979-10-90014-08-4

Format 16 x 24 cm ; 140 pages ; 27 illustrations