Ile
de Tahuata, dimanche matin 18 Septembre 1842
Transportons nous à l’aube de ce jour sur la place du
village de Vaitahu, une vaste esplanade déboisée qui
surplombe la mer. Une agitation inhabituelle y règne
tandis que dans le brouhaha des conversations et des
ordres se forment les trois colonnes de marins de la
120e compagnie qui s’apprètent à partir vers l’intérieur
de l’île pour une mission d’autorité à l’égard de la
population locale. A la tête de ces colonnes, trois
officiers. La première est commandée par le Capitaine de
corvette Edouard Halley qui par décision de l’Amiral du
Petit Thouars, exerce également le commandement de l’île
où il représente l’autorité du Roi de France. La seconde
est commandée par son second, le Lieutenant de Vaisseau
Philippe Laffon de Ladebat et la troisième est placée
sous les ordres d’un officier de l’Infanterie de Marine,
le Capitaine Cugnet.
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Quelques mois après la prise de possession officielle de
l’île par l’Amiral qui s’est déroulée le 1er
Mai avec faste et allégresse, c’est le premier incident
sérieux qui oppose la France aux Marquisiens. Comment en
est-on arrivé là ? Il apparait de nos jours que
l’acceptation bienveillante des populations locales
s’est peu à peu transformée en rejet à mesure que les
Français s’installaient sans trop tenir compte des us et
coutumes locales. C’est ainsi que peu à peu se creusait
le fossé entre les deux communautés jusqu’à ce que le
souverain marquisien, le Roi Yotété à l’origine ami
personnel de l’Amiral, outragé de voir rabaisser ainsi
son peuple et lui-même, avait décidé de se retirer de
Vaitahu et de s’établir sur les hauteurs de la partie
centrale de l’île. Halley ne pouvait accepter cette
situation qui l’isolait en bord de mer avec ses hommes
et avait à plusieurs reprises demandé à Yotété de
revenir ce que ce dernier persistait à refuser et ainsi,
le ton avait fini par monter. Manifestement le conflit
de personnalité entre Halley et le Roi formait blocage
malgré les efforts néanmoins faits de part et d’autre.
En dernier ressort, la propre fille du roi avait tenté
une mission de conciliation l’avant-veille mais la
négociation avait une nouvelle fois achoppé sur le refus
de Yotété de redescendre au village avec son peuple, les
Marquisiens en la circonstance se déclarant prêts « à
mourir aux côtés de leur souverain » ce à quoi Halley
avait répondu :
- S’il en est ainsi alors c’est la guerre !
Voilà où on en était en ce dimanche matin lourd d’une
chaleur déjà moite avec d’un côté les Français bien
décidés à faire entendre raison au Roi qui se
laisserait, pensait-on, convaincre au vu de la troupe
armée venue jusqu’à lui et de l’autre, le petit peuple
indigène tout autant persuadé de son bon droit.
La
colonne Halley a prévu de s’enfoncer vers les hauteurs
en suivant d’abord le fond de la vallée tandis qu’à sa
gauche, la colonne de Ladebat va faire mouvement en
remontant le flanc du morne et la colonne Cugnet en fera
autant sur le flanc opposé. La vallée de Vaitahu est en
effet encaissée entre deux mornes aux flancs abrupts et
s’ouvre sur la mer en une grande plage où se jettent les
eaux de la ravine. Les sentiers qui la parcourent sont
souvent escarpés surtout à flanc de morne,
notamment du côté où progresse à présent le jeune
Lieutenant de Vaisseau. A mesure que l’on se rapproche
du sommet, le sentier est devenu plus étroit et c’est en
file indienne que la colonne poursuit son chemin entre
un talus de forte pente couvert de végétation et un
fossé naturel dans lequel on aperçoit la tête des
roseaux. On atteint alors un pli de terrain dans lequel
un saut-de-loup transversal force le sentier à faire un
coude où s’élèvent quelques grands cocotiers dont l’un
occupe l’angle externe du coude formé par le chemin.
Au
moment où Philippe Laffon en tête de ses hommes débouche
brusquement à la sortie du chemin, il aperçoit
immédiatement sur l’autre bord un poste indigène composé
essentiellement d’un muret de pierres sèches percé de
meurtrières, entourant une case bâtie sur pilotis au
milieu des arbres.
A
l’instant où parait l’officier, une voix forte venue de
derrière le retranchement jette un ordre :
-
Tapu !
En
langage marquisien l’expression désigne un lieu sacré où
l’on ne doit pas pénétrer.
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Surpris et se sentant sans doute menacé, Philippe Laffon
épaule son fusil et fait feu à deux reprises. En
réponse, une salve nourrie retentit et le Capitaine
touché à la tête, s’effondre. Cinq matelots sont
également atteints. Gênée par l’étroitesse du sentier,
la colonne effectue aussitôt un mouvement de repli
tandis que quelques hommes s’embusquent dans les
buissons pour fixer les Marquisiens. La fusillade alerte la
colonne Halley qui progressait en contre-bas, laquelle
se hâte alors pour monter prêter main forte. En peu de
temps, Halley rejoint le lieu de l’embuscade et,
parvenant au fatal tournant, il s’abrite derrière le
cocotier faisant l’angle pour étudier la situation alors
que de part et d’autre, les balles pleuvent. Quelques
instants plus tard, voulant rallier des hommes à lui, il
se découvre totalement pour en donner l’ordre. Il est
aussitôt atteint en plein front et s’écroule contre le
tronc du cocotier où il demeure à genoux, à deux mètres
du corps de son second.
Immédiatement, le Capitaine de Frégate Laferrière,
commandant la frégate Bucéphale, qui s’était
joint au dernier moment à cette expédition que l’on pensait
être une simple manœuvre d’intimidation, prend la
direction des opérations et avec les restes de la
colonne de Ladebat, parvient à contourner puis dominer
le retranchement dans lequel il se précipite.
Rapidement les Marquisiens décrochent et battent en
retraite par des chemins connus d’eux seuls. Il est
hélas trop tard pour nos marins ; leurs deux officiers ont été tués sur
le coup ainsi que plusieurs hommes. On tentera bien de
poursuivre les Marquisiens mais sans jamais parvenir à
portée et très vite, le contact est perdu. Il ne reste
plus qu’à revenir se regrouper sur les lieux du drame
d’où les survivants emportant morts et blessés
reprennent le chemin de la baie la mort dans l'âme.
Face
à cette situation inattendue, les Français décideront en
attendant les renforts que l’on s’est empressé d’envoyer
chercher dans l’île voisine, de se retrancher sur place
à Vaitahu et de provoquer les indigènes à attaquer, ce
qui parait être la meilleure solution pour leur faire
subir des pertes notables. C'est d’ailleurs ce qui ne manquera
pas de se produire à plusieurs reprises les jours
suivants. Enfin, le 23 au matin, arrive en rade La
Boussole qui outre des troupes, apporte de
l’artillerie et des munitions. Le 24, en fin de matinée,
les Marquisiens qui depuis la veille évacuaient les hauteurs se
manifesteront une dernière fois en déclenchant une
fusillade nourrie puis le silence s’installera.
Le
temps de la diplomatie était revenu et finalement grâce
à l’intercession d’un missionaire, la population locale par
la voix de ses chefs, sollicitait le retour de la paix.
Progressivement, crainte et défiance finissaient par
s’estomper tandis que Français et Marquisiens tournant
le dos à ce sinistre épisode fort heureusement sans
lendemain allaient désormais apprendre à vivre en bonne
intelligence.
Le petit
monument érigé à Vaitahu pour commémorer le 1er Mai 1842
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