Sur la route d'Argostoli

U 47 contre VULCANUS

L'aventure de Joseph Sanguinetti marin à bord de ce vapeur

 

 

Juin 1917
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   En 2004, répondant à une demande de recherche historique de la part de la famille Sanguinetti, j'ai fait la connaissance des proches de Joseph Sanguinetti et de son bateau le Vulcanus. De cette rencontre avec l'Histoire il est resté plusieurs documents que je vous livre dans cette page. Un autre instantané de la guerre sous-marine au temps de la vapeur et à l'aube du sous-marin.

A Hélène et Jean Claude avec mon amitié

 

VULCANUS

Cargo à vapeur construit aux Chantiers Palmers & Co de Newcastle sous le n° 512

Entré en service en Août 1883 sous le nom de MOLIERE pour l'armement Hill & Co de Cardiff

Longueur  76 m., largeur  10m65,  tirant d'eau 5m40. Tonnage brut 1459 tonnes.

Machine à vapeur compound d'une puissance nominale de 173 CV

Renommé Vulcanus en 1907 puis racheté par la Cie Charles Schiaffino et A.Jouvet en 1912. Port d'attache Alger.

 

  

Bizerte, 31 Mai 1917, 17 heures

   Un convoi de 4 vapeurs au nombre desquels se trouve le Vulcanus de la compagnie Schiaffino d'Alger, appareille à destination de Messine, escorté par deux canonnières. Le temps est beau, la mer est belle. Si ce n'était le péril sous-marin qui menace en permanence, la traversée serait une partie de plaisir. A son bord, un équipage de 23 hommes sous le commandement du Capitaine Antoine Navarolli et dans les soutes plusieurs centaines de tonnes de charbon et de frets divers.

 

Le Vulcanus pouvait ressembler à ce vapeur

Marque de cheminée Cie Schiaffino

   Sous-marin U-47, 31 mai, 18 heures

   La dernière droite de hauteur de la journée a permis de fixer la position du sous-marin. Il est à une centaine de milles dans l'ouest de l'île de la Galite, un petit archipel au large des côtes tunisiennes, en route cap à l'est. Cela fait plus d'un mois que l'U-47 et son équipage de 34 hommes commandés par le Kapitänleutnant Heinrich Metzger ont quitté leur base de Cattaro et la perspective d'un retour désormais proche donne à tous un nouvel entrain. Cette patrouille qui s'achève a conduit l'U-47 au-delà de Gibraltar jusque dans l'Atlantique où il a fait assez bonne chasse ayant coulé 7 navires représentant environ 12000 tonnes. Seule ombre au tableau, il y a un homme de moins à bord que lors du départ. En effet, le matelot Erich a été tué par l'explosion prématurée d'une charge de sabordage qu'il venait de placer à bord d'un voilier arraisoné.

KL Heinrich Metzger

 

Joseph Sanguinetti

Tous les deux ont le même age !

   Mais pour l'instant, l'horizon est désert et on se prépare à une nuit de plus en mer dans le confort pour le moins spartiate du sous-marin.

Samedi 2 juin

   Après quelques heures d'escale à Messine où l'on a chargé encore du fret pour Argostoli, le Vulcanus reprend seul la mer vers 23 heures, escorté cette fois du Vulcain, un chalutier armé. Vulcanus et Vulcain... on dirait deux membres d'une même famille de divinités. A 1 heure du matin le 3, on passe Spartivento et on met cap à l'est en direction de l'île grecque de Céphalonie. Tout est calme à bord, Joseph Sanguinetti à la barre gouverne sur la faible lueur du feu de poupe de l'escorteur.

   A la même heure, l'U-47 en route au nord-est a mis le cap sur le canal d'Otrante. Navigation paisible en surface, un diesel pour la propulsion, le deuxième pour la charge des batteries...

   Le destin est en marche, deux sillages vont se croiser...

                                                                    

   10h30

   A bord de l'U-47 on a repéré des fumées derrière l'horizon. Cap sur ces bateaux et après quelques milles en rapprochement, deux navires sont identifiés : un vapeur précédé d'un chalutier escorteur. La route moyenne est déterminée, il ne reste plus à Metzger qu'à se placer à bonne distance de tir sans se faire repérer. Les batteries sont à pleine charge, la route du but est désormais certaine, tout est paré. Plongée !

   11h20  

   Sur la passerelle du Vulcanus on veille et on veille bien ! Avec une mer aussi belle, on doit pouvoir repérer le moindre périscope. Raison de plus pour être encore plus attentif. Joseph Sanguinetti qui se détendait sur le pont se dirige vers le poste d'équipage pour déjeuner ; il prend le quart à midi. Au carré aussi on déjeune et on discute de choses et d'autres.

   Tout à coup, dans un fracas de fin du monde, une formidable explosion ébranle le navire. Torpille ! La vieille coque du Vulcanus ne résiste pas à l'ébranlement, elle se déchire, s'ouvre et boit la mer.

   Il s'en faudra de bien peu de minutes avant que le vapeur ne disparaisse dans la mer indifférente qui continue à scintiller sous les rayons du soleil. Pour certains dans la machine, il est trop tard. Pour d'autres qui étaient au bon endroit au bon moment, il y a encore une chance... C'est le cas de Sanguinetti, il a juste le temps de se précipiter sur le pont, d'entendre le Capitaine crier d'évacuer et de se précipiter vers la baleinière bâbord, la seule qui ait survécu à l'explosion. Mais ses garants sont bloqués ! Chance encore pour Joseph, ce couteau de matelot qui ne le quitte jamais, il est toujours dans sa poche. Alors, avec l'énergie du désespoir, il tranche, il tranche encore, il ne cesse pas de trancher jusqu'à ce qu'enfin l'embarcation file librement. Tellement librement, qu'elle file directement à la mer ! Sanguinetti et plusieurs autres se jettent à l'eau alors que déjà le pont du Vulcanus est presque submergé. Ils nagent quelques mètres et se hissent à bord du canot. Sauvés !

   Antoine Navarolli constatant l'absence du personnel de quart à la machine s'est précipité à la chaufferie alors que son bateau coule. Pour le Capitaine comme pour les mécaniciens et chauffeurs, il est trop tard. Les cloisons cèdent, le navire s'enfonce par l'avant et en moins de cinq minutes, il disparaît sous les flots qui instantanément se referment sur lui.

   Midi.

   Le Vulcain a tenté sans grande conviction une passe de grenadage sur le point supposé où devait se trouver le sous-marin puis il est vite revenu sur le lieu du naufrage et repêche les survivants. Ils ne sont plus que 17, sept hommes ont disparu avec le vapeur.

   L'U-47 a facilement échappé au Vulcain. Il était déjà loin quand l'escorteur a grenadé et lorsqu'il fait surface une demi heure plus tard, la mer est à nouveau déserte. Comme si rien n'était arrivé. Il entre à Cattaro le lendemain soir non sans avoir échappé de peu à deux torpilles lancées par le submersible italien W-4 en embuscade dans le Canal d'Otrante.

   Cette patrouille qui se termine sera la dernière de l'U-47. Ses moteurs sont bons à changer et de Cattaro il rejoint Pola au fond de l'Adriatique où l'on espère malgré tout le remettre en état. Peine perdue, il finira là, sabordé sur place à la fin d'octobre 1918. Heinrich Metzger lui, prendra le commandement de l'U-63, échappera une fois encore de justesse à la mort avec l'U-39 et devra se résoudre à laisser interner son bateau gravement endommagé dans le port espagnol de Valence. Il survivra à la guerre.

   Joseph Sanguinetti reprendra du service dans la Marine Marchande jusqu'à son décès à l'été 1930 en cette terre algéroise qui l'a vu naître et où il sera inhumé, sans rien connaître des drames qui accompagneront la fin de l'Algérie française.

 
Patrouilleur auxiliaire Vulcain-II  commandé par le premier maître de manœuvre RICHAUD –, Journal de navigation n° - / 1916 – 15 avr. ~ 9 juin 1917 –

Service historique de la Défense, S.G.A. « Mémoire des hommes », Cote SS Y 642, p. num. 308 à 310.  

                                                                                           
     
    2 juin 1917
   17 h. 00 –  Appareillé de Messine avec ordre d’escorter Vulcanus à Argostoli.
 
   19 h. 10 – Vulcanus en ligne de file derrière.
 
   23 h. 40 – 6,5 milles Spartivento.

                                                                                                                         
 
   3 juin 1917                                                                                                                 
   0 h. 00 – Vulcanus à 800 m en arrière.
 
   10 h. 25 – Une explosion se produit à bord du Vulcanus, le navire venant d’être torpillé. Venu aussitôt à gauche toute ; rappelé au poste de combat, canon chargé, grenades prêtes à jeter. Lancé aussi le Allo 37° 57’ N. ~ 17° 50’ E. ; aucun navire ne répond à l’appel. Le Vulcanus coule en moins de 2 minutes. Évolué autour de l’épave sans apercevoir trace de remous ni de sillage.
 
   10 h. 30 – Amené le canot et le berthon pour aller recueillir les survivants. Continué à patrouiller dans toutes les directions à proximité de l’épave.
 
   11 h. 00 – Embarqué à bord 17 survivants ; les canots continuent leur recherche. Exploré les lieux du torpillage à une distance maximum de un mille de l’épave.
 
   12 h. 00 – Hissé les deux embarcations et patrouillé jusqu’à 15 h.00. T.S.F. envoie Allo tous les ¼ d’heure.
 
   15 h. 00 – Fait route sur Argostoli.

 
                                                                                                                         
  4 juin 1917
   8 h. 10 – Origine chenal de sécurité.
 
   8 h. 55 – Franchi barrage.
 
   9 h. 20 – Accosté Shamrock et débarqué les 17 survivants du Vulcanus. Rendu compte de la traversée au chef d’état-major
[à bord du] Michelet. »

 

Marins disparus le 3 juin 1917 avec le cargo Vulcanus


 
   (Décision du Commissaire des Transports maritimes et de la Marine en date du 23 février 1918 requérant le Procureur général près la Cour d’appel d’Alger de poursuivre d’office la constatation judiciaire des marins disparus avec le cargo Vulcanus : J.O. 24 févr. 1918, p. 1.864).
 
 
   — NAVAROLI Antoine Marie. Capitaine au long-cours, inscrit à Bastia, n° 220 ; capitaine.
 
   — BOYER Paul Julien Urbain. Chef mécanicien, inscrit au quartier de Marseille, n° 1.870.
 
   — VIRCONDELET Joseph Albert. Second mécanicien, inscrit à Alger, n° 2.042.
 
   — ROCHE Antonin. Premier chauffeur, inscrit à Sète, n° 1.185.
 
   — NICOLAÏ Pierre Antoine. Maître d’équipage, inscrit à Bastia, n° 4.615.
 
   — DUMONT Marcelin Antoine. Matelot, inscrit à Alger, n° 2.579.  
 
   — APPRIOU François Marie. Matelot, inscrit au Conquet, n° 43.431.  
 
   — REINE Alfred Louis, né le 31 août 1891 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) et y domicilié, Matelot de 2e classe mécanicien [Opérateur T.S.F.], Direction du port de Sidi-Abdallah, Matricule n° 52.616 – 5 (Jug. Trib. civ. Alger, 5 avr. 1818, transcrit à Clermont-Ferrand, le 30 avr. 1918).

 
   Par arrêté du Ministre de la Marine en date du 4 janvier 1922 (art. 2 ; J.O. 12 janv. 1922, p. 602), inscrit à titre posthume au tableau spécial de la Médaille militair
e


 

A ceux que cette histoire aura intéressé, je propose de télécharger ci-dessous le récit que j'ai pu faire à partir des pièces d'archives consultées. C'est celui que j'ai remis à la famille de Joseph Sanguinetti, modeste témoignage d'un épisode de cette guerre sans merci.

Télécharger Vulcanus

Un document .pdf de 9 pages - 168 Ko

Un videorama d'une durée de 7 minutes relatant cet épisode est également visible sur le site YouTube