Cette page est dédiée
à la mémoire de Georges Bichon
Capitaine au Long
Cours et modeste acteur de la grande guerre
1918 Décoré de la Croix de Guerre
avec Etoile d'Argent
Le 3 Avril 1917, la route de Georges Bichon, second du vapeur Saint
Simon croisait celle d'Otto Launburg, commandant du sous-marin
allemand UC 37. Cette rencontre allait être fatale au Saint Simon
mais Georges Bichon allait y survivre et 23 années plus tard, alors
Commandant de port à Bordeaux, il allait croiser l'Amiral von
Arnauld de la Perière, l'as mondial des sous-mariniers
qui fut le Commandant du Lieutenant Launburg à ses débuts sur l'U 35. Rien ne permet
d'affirmer aujourd'hui que les deux hommes ont évoqué leurs
souvenirs de la précédente guerre mais on ne peut pas l'exclure non
plus. D'une certaine façon, les deux sillages se recoupaient une
dernière fois, fermant ainsi la boucle du destin de deux marins qui
en d'autres temps seraient à n'en pas douter, devenus des amis.
Capitaine au Long-Cours Léon
DUPART
Commandant le
vapeur Saint Simon
Le commandant Léon
Dupart, né en 1873 à Saint Briac, avait obtenu son brevet de capitaine
au long cours en 1902.
Il s’était marié avec Bathilde (ce
prénom est celui d’une reine de France, épouse du roi Clovis II) et
avait un jeune fils de neuf ans, prénommé Léon comme lui. Il avait
également deux sœurs et venait de faire construire une superbe maison
dominant l’embouchure de la rivière Frémur, face à Lancieux, appelée
villa Fleurenn.
Léon Dupart avait pris le commandement du Saint Simon en 1914
Le vapeur Saint Simon
appartenait à la Société Navale de l’Ouest, créée en 1880 sous le nom de
Cie
Georges Leroy qui devint SNO en 1887.
Construit
en 1912 à Dunkerque, long de 99 m et large de 14, c’était un cargo de
3419 tonnes, propulsé par une machine à triple expansion. Il pouvait
aussi emporter quelques passagers.
Réquisitionné par l'Etat à Alger, il avait navigué sur la côte africaine
durant l’année 1916, participant au ravitaillement des navires de guerre
qui opéraient dans les parages lors de la conquête des colonies
allemandes.
En 1917,
il était commandé par le Capitaine Dupart de Saint Malo avec pour second capitaine,
Georges Bichon qui avait embarqué le 8 Juin 1916 à Cardiff. Ce dernier
qui avait commencé la guerre à bord du Saint Pierre totalisait
alors 30 mois
de navigation au cours des 33 derniers mois !
Fin Mars 1917, servi par un équipage de 33 marins, le navire est à Bizerte. Il a été doté d’un
canon de 90 mm, modèle 1877.
Le 3
Avril, il appareille à destination de Huelva afin de prendre dans
ce port un chargement pour Rouen. Laissons la parole à Georges
Bichon dont le rapport de mer se trouve aujourd'hui aux archives du
Service Historique de la Marine
à Vincennes.
« Le
Saint Simon quitta le mouillage de la zone militaire de la baie
Ponty le Mardi 3 Avril à 05h00 du matin et ne fut mis en route
qu’après 08h00 étant donné le retard causé par le fait qu’à deux
reprises nous avons été obligés de retourner la patente de santé qui
n’était pas en règle.
La route
prescrite par les instructions fut suivie jusqu’à 09h30 environ,
heure à laquelle le SOS de l’Ernest Simons fut entendu. Vers
midi, un chalutier patrouilleur qui se trouvait dans les parages
nous ordonna de changer de route afin de passer au large de la zone
dans laquelle pouvait évoluer le sous-marin signalé. Nous nous
trouvions alors en vue de La Galite. La route fut donnée de façon à
passer au nord de cette île.
A 15h30,
étant suffisamment remontés au nord, la route fut donnée au sud 85
ouest du monde. Nous faisions route à ce cap, marchant dix nœuds,
par un temps orageux, brise d’ouest, mer clapoteuse et horizon mal
déterminé.
Vers 18h05, je suis monté sur la passerelle pour prendre le quart.
Le lieutenant que je relevai, me transmettant les ordres, ne me
signala rien de particulier. Après avoir pris connaissance du point
où nous nous trouvions à ce moment, je me mis en devoir de scruter
l’horizon à l’aide de jumelles. Je ne vis rien qui me permette de
trouver la trace d’un sous-marin. L’homme de vigie qui était à son
poste dans la mâture ne me signala rien non plus.
Tout à coup,
vers 18h25, une explosion formidable se produisit à l’arrière,
ébranlant fortement le navire, brisant tous les hublots et mettant
complètement hors d’usage l’antenne TSF. Je me rendis immédiatement
vers l’arrière pour juger de l’importance des dégâts et voir ce
qu’il serait possible de faire pour sauver le navire. Je me trouvai
alors devant un amas de débris de toute sorte. Les panneaux 3 et 4
étaient complètement ouverts et des cales s’échappait une énorme
fumée noire. Le navire s’enfonçait rapidement par l’arrière, et
l’eau commençait déjà à envahir le pont. Voyant que le navire était
irrémédiablement perdu, je recommandai à chacun de se munir de sa
ceinture de sauvetage et de se rendre aux embarcations.
La
baleinière de bâbord avait eu son garant coupé par l’explosion et se
trouvait pendue sur son garant de l’avant. Celle de tribord chavira
aussitôt à l’eau, et tout le personnel qui allait y prendre place
fut projeté à la mer. Malgré la rapidité avec laquelle le navire
coula, le calme le plus absolu régna pendant l’évacuation.
Malheureusement, la plus grande partie du personnel qui se trouvait
dans l’eau fut entraînée dans les remous du bâtiment qui sombrait.
Je fus moi-même entraîné par la chute du mât de l’arrière dans
lequel je me suis trouvé engagé avec quelques hommes dont l’un fût
tué et un autre gravement blessé. Arrivé à une certaine profondeur,
je parvins à me dégager et je revins à la surface, juste pour voir
s’enfoncer l’avant du navire qui coulait verticalement.
Il est assez difficile
d’apprécier exactement le temps qui s’est écoulé depuis l’explosion
jusqu’à la complète disparition du bateau, mais j’estime que tout
ceci s’est passé en moins de cinq minutes.
Pendant ce temps, j’ai aperçu le capitaine Dupart sur le spardeck
tribord. De là, il s’est rendu dans sa cabine pour y prendre les
papiers du bord. Il y a tout lieu de croire qu’il a été surpris par
la mer avant d’avoir pu sortir.
Dès
que le Saint Simon fut complètement disparu, le sous-marin apparut
en surface et passa deux fois parmi les naufragés. Il recueillit
deux hommes que je suppose être le matelot Le Cam et le cuisinier Le
Berre et les emmena. Quand le sous-marin s’éloigna, il fit route au
NE. C’était un bâtiment d’une longueur d’environ 70 m, ayant l’air
peint de frais d’une couleur gris bleu très claire, armé d’un canon
sur l’avant de son kiosque et ne portant aucune marque apparente, ni
couleur, ni numéro.
Restés
seuls, nous fûmes recueillis par la baleinière qui au début était
restée pendue par son garant de l’avant et que son armement avait
réussi à mettre à la mer grâce à l’intelligente initiative et au
sang-froid du matelot Tonnerre Nicolas. Quand la nuit fut venue et
que tous les survivants en vue furent recueillis, nous nous sommes
mis en route pour essayer de gagner La Galite dont nous nous
trouvions environ à vingt milles dans le NNO. Nous étions seize
rescapés, dont deux grièvement blessés, le chef mécanicien Noel et
le chauffeur Mérieau. Nous avons navigué toute la nuit (voile et
rames) brûlant de temps à autre un feu Coston pour éveiller
l’attention des navires qui auraient pu se trouver dans les environs
et naviguer sans feux. Personne n’y répondit.
Quand le jour vint, nous
avions dépassé l’îlot sur lequel nous nous proposions d’atterrir. Le
temps étant très beau et la brise légère, nous décidâmes de gagner
Tabarka, qui apparaissait devant nous.
Nous faisions route vers ce port
quand, vers 10h00 du matin, nous aperçûmes la fumée d’un
contre-torpilleur qui passait au large. Avec les trois costons qui
nous restaient, nous fîmes des signaux qui furent aperçus et vingt
minutes après, nous fûmes recueillis par le Sphendoni, sur
lequel le plus bienveillant accueil nous fut réservé. Ce torpilleur
nous déposa dans l’après midi à Sidi Abdallah.
Je
termine ce présent rapport en rendant hommage à la mémoire de mon
regretté capitaine, lequel a accompli son devoir avec le plus grand
calme. Je signale tout particulièrement la conduite des matelots
Tonnerre et Bertrand, lesquels ont fait preuve d’un grand sang-froid
et d’un esprit de décision remarquable et ont contribué le plus au
sauvetage de tous les rescapés.
A signaler aussi Monsieur
Noel, chef mécanicien, et Mérieau Edmond, chauffeur. Ces deux
hommes, quoique très grièvement blessés, ont fait preuve d’un grand
calme et d’une endurance parfaite. »
Sidi Abdallah, le 8 Avril 1917
Signé
Georges BICHON
Ce
rapport de Georges Bichon est empreint d’une extrême rigueur et
d’une grande modestie. Officier rescapé le plus élevé en grade, il a
aussi le souci de rendre hommage à ses matelots dont le bon sens, le
calme, le sang-froid et le professionnalisme ont permis qu’il y ait
des survivants.
10 Avril 1917
Enquête à
Bizerte
par le
Capitaine de
Frégate Joseph Wolff
Comme c'est le cas après chaque destruction impliquant un
sous-marin, les rescapés du Saint Simon seront auditionnés par
l'officier enquêteur de la Marine Nationale. A Bizerte, ils sont
reçus par le Capitaine de Frégate Wolf qui dans son rapport final,
daté du 10 Avril, apporte ces commentaires :
L’équipage se composait de 33 hommes, parmi lesquels quatre
Sénégalais et deux Martiniquais. Sa conduite fut excellente. Quinze
sont portés manquants et deux auraient été recueillis par le
sous-marin. Le Saint Simon avait reçu vers 09h30 le SOS de l’Ernest
Simons et un chalutier patrouilleur lui a signalé de changer de
route et de passer au nord de La Galite au lieu de passer au sud. Le
navire filait 10 nœuds et n’a pas zigzagué. Il n’a pas pu envoyer de
signal de détresse, les antennes radio étant démolies par le choc et
tout étant tombé sur le pont.
A la question de savoir si le navire possédait un code secret TSF,
la réponse est oui, mais personne n’a pu dire ce qu’il était
devenu ; l’officier enquêteur en conclut que le commandant a
probablement disparu avec tous ses documents enfermés dans un sac
plombé.
Le Saint Simon avait un tirant d’eau de 4 m et il estime que la
torpille a frappé à 3 m sous la flottaison. Au moment de
l’explosion, qui eût lieu à hauteur de la 3e cale, les
panneaux et plusieurs hommes, dont le chef mécanicien Noel, ont été
projetés à dix ou quinze mêtres de hauteur. Certains sont retombés
dans la cale et on ne les a pas revus. Le chef mécanicien est
retombé sur le pont, recevant de très graves blessures aux jambes (
nota : il avait des fractures ouvertes et sera amputé de la jambe
gauche).
Les matelots Bernard Creac'h et Corentin Le Touze ont déclaré avoir
aperçu le sillage d’une torpille sur bâbord quelques instants avant
l’explosion. Le 2e capitaine avait vu un remous,
peut-être son départ.
Les deux embarcations ont pu être mises à l’eau, mais celle de
tribord a été brisée par la chute du mât arrière. Le mât, en
tombant, a tué un homme et le matelot chauffeur Mérieau a eu le bras
cassé. Le second capitaine a été entraîné sous l’eau par le mât ; il
n’a pu se dégager que d’extrême justesse et est remonté à la surface
presque asphyxié.
Après la disparition du Saint Simon, le sous-marin a fait surface.
Il avait la longueur d’un contre-torpilleur. Le kiosque était
environ à 2,50m au dessus de la coque, avec un périscope en son
milieu. Un canon de 100 mm paraissait à poste fixe sur l’avant du
kiosque. Sur l’arrière, il y avait une mitrailleuse recouverte d’une
toile à voile. Le canon paraissait en tous points semblable aux
canons français. Une installation TSF était en place, mais pas de
projecteur. Le sous-marin n’a pas utilisé son canon.
Il y avait un homme sur le pont du sous-marin et cinq sur la
passerelle, dont trois avec casquette et tenue kaki. Un officier a
demandé aux survivants le nom du navire et s’il y avait des
militaires à bord. Les marins ont répondu non. L’officier
s’exprimait dans un très bon français et il a indiqué aux rescapés
la direction à prendre pour gagner la terre. Le sous-marin a navigué
au milieu des épaves, comme s’il cherchait quelque chose. Plusieurs
marins ont vu de façon très précise deux marins français tirés hors
de l’eau par l’équipage allemand et ils pensent les avoir reconnus,
toutefois sans certitude.
Au bout de trente minutes le sous-marin s’est éloigné jusqu’à
environ trois milles dans le NE et a plongé. Le second capitaine
Bichon déclare qu’il n’a pas vu le sous-marin plonger car la nuit
est tombée très rapidement.
Reconstitué avec les moyens
informatiques d'aujourd'hui, le déroulement de l'action ce 3 Avril
1917
.
Le sous-marin UC 37
Commandant Oberleutnant zur See Otto
Launburg
Ses principales caractéristiques
sont les suivantes :
Déplacement 417 tonnes en surface, 493 tonnes en
plongée
Longueur 49,35 m,
Largeur 5,22 m
Tirant d’eau
3,68 m
Hauteur 7,46 m
Profondeur max certifiée 50 m
Puissance
500 cv en surface (diesels), 460 cv en plongée (électr.)
Vitesse 11,6 noeuds
en surface, 7 noeuds en plongée
Autonomie 9430 milles en
surface, 55 milles en plongée
Côté
terre gros transport faisant route à l’Est. Environ 10 000 t et 2
cheminées. Il reste hors de portée.
0920
Deux vapeurs chargés avec 2 cheminées et 3 mâts en vue route
à l'Est. Préparons l'attaque du plus gros
1021
Feu du tube AR.
Coup au but au milieu. Le 2e vapeur s'enfuit à vive allure.
1033
Le vapeur est coulé
1100
Vent W 3 - 4
l = 37°08'N
g = 8°20'E
Fait surface.
L’équipage du
vapeur a pris place dans des canots et des radeaux. Le commandant
est introuvable. Route au nord. C’était le vapeur
Ernest Simons
5555 t. des Messageries en route de Marseille vers Port Said
1325
Destroyer en
vue. Plongée
1500
Surface
1655
Vent 3-4
A 2 quarts par
tribord vapeur en vue. Plongée et fait route d'attaque.
1733
Feu tube 1.
Coup au but à hauteur de la cale arrière.
1735
Vapeur coulé.
Surface.
l = 37°36'N g = 8°38'E
Naviguant parmi les épaves, sauvé 2
marins accrochés à des espars. Il s’agit du cargo minéralier
français
Saint Simon 3418 t sur lest. Armé d'un canon de 75. Ce
navire était en route de Bizerte vers Huelva pour prendre un
chargement de minerai vers Rouen
1800
Toutes les
torpilles ont été tirées. Fait route vers le Cap Passero
Le Commandant Otto Launburg
Sa
biographie intégrale est à lire en ligne en cliquant sur
l'image
ci-dessous
Georges Bichon, Capitaine
au Long Cours
Georges,
Frédéric, Louis Bichon
est né le 22 Décembre 1888 à Pornic. Fils de Victor, François,
capitaine au cabotage, c'est tout naturellement qu'il deviendra marin et
même, titre honorifique prisé s'il en est, cap-hornier à bord des grands
voiliers d'autrefois.
1903
mousse sur le lougre UNION (navire de son père)
1904 mousse sur le trois-mâts barque GRANDE DUCHESSE OLGA
1904-1905 mousse sur le trois-mâts barque BABIN-CHEVAYE
1905-1906 matelot léger sur le trois-mâts barque EMPEREUR MENELIK
1907-1909 lieutenant sur le trois-mâts barque SAINT ROGATIEN
1910-1911 service militaire sur MASSENA et BRENNUS matelot de 3e
classe
1911-1912 second capitaine sur trois-mâts barque SAINT ROGATIEN
1912-1913 cours de capitaine au long cours. Brevet du 7 Juin 1913
Entre à la Société Navale de l'Ouest en Septembre 1913
03/04/1917 torpillé sur le SAINT SIMON dont il est Second Capitaine
01/07/1917 Commandant du SAINT MARC (premier commandement)
Fév.1931 Entre à la Direction du port
autonome de Bordeaux
1940-1956 Commandant du port autonome de Bordeaux
Décédé au Bouscat le 15 Octobre 1958
Courriers détenus dans les famille Dupart et Bichon
Le 17 Mars 1917, le Saint Simon est à
Salonique, voici la transcription de la dernière lettre que Léon
Dupart envoya à son beau-frère Jean Lesène. C’était 17 jours avant
le naufrage.
Mon vieux Jean,
Bathilde m’avait écrit dans une de tes dernières lettres que tu
m’avais envoyé un mot à Bizerte, mais je n’ai pas encore eu le
plaisir de le recevoir. Voilà déjà pas mal de temps que je n’ai eu
un mot de toi. Que deviens-tu ? Echappes-tu toujours aux marmites et
autres engins. Le temps est-il plus clément ?
Quant à moi, de Bordeaux, Cardiff, Bizerte, Corfou, Bizerte, me
voici à Salonique, pas loin du front de Macédoine. Quelquefois, les
avions Taubs font leur apparition jusqu’ici et la ville sent tomber
des pruneaux. Ils ne sont pas encore venus depuis le jour de mon
arrivée, mais avaient fait pas mal de dégâts quelques jours
auparavant. A Salonique, c’est cosmopolite. On voit des soldats de
toutes les nations : Français avec Nègres, Marocains et Annamites,
Anglais, Italiens, Serbes, Russes, Grecs…etc C’est un grouillement
continuel et on y fait un trafic intense.
Je suis arrivé ici Lundi dernier et je vais repartir dans quelques
jours pour Bizerte, encore, pour rechercher du charbon dont on a
besoin partout en ce moment. Ce n’est pourtant guère agréable d’être
continuellement à faire ce métier, toujours dans la saleté. Enfin !
cela finira bien un jour ou l’autre ! Qu’en dis-tu ? Sera-ce pour
1917 ? Je parcours toujours les mers sans faire de fâcheuses
rencontres et sans trouver un sous-marin. Je compte tout de même
bien finir par en voir un ! Pourvu que j’arrive à le couler, le
s…. !
Quand donc pourrons-nous nous retrouver réunis à Saint Briac, mon
vieux Jean ? Et quand tout cela sera terminé ? Depuis le début, je
n’ai guère été avantagé en fait de permissions. Quatre jours à
Rouen… C’est bien bref et bien peu, aussi ai-je hâte, mon vieux, de
pouvoir aller me reposer un peu de tous les ennuis et tracas de la
navigation. Ce n’est pas le rêve en ce moment, je t’assure.
Allons ! A bientôt de tes nouvelles et à l’heureuse entrevue qui
nous réunira tous. Où se trouve Yves maintenant ? J’ai entendu dire
qu’il était à Cherbourg il me semble. Y est-il toujours ?
Je n’ai pas de nouvelles de Bathilde, et c’est la misère pour avoir
des lettres maintenant. Lorsque nous partons, notre destination est
secrête et on ne peut pas se faire écrire.J’ai hâte de revoir les
miens, tiens !
J’écris à Bathilde en même temps et l’informe que je t’envoie ce
petit mot. J’ai écrit à Hus, de Corfou, les temps derniers, pour
qu’il fasse terminer les travaux de réfection à Fleuren, et en finir
une bonne fois pour toutes.
Baisers à Maria et à Guy, et à toi, mon vieux Jean, ma plus sincère
et cordiale poignée de main.
Léon Dupart
Après le
torpillage, Georges Bichon adressait deux lettres à l'épouse de son
Commandant. Les voici reproduites in extenso.
Sidi Abdallah, 8 Avril 1917
Madame,
Vous avez sans doute appris la triste fin du navire que commandait
votre mari. Nous avions quitté Bizerte le Mardi 3 courant à
destination de Huelva et nous faisions route par un temps
relativement beau quand, vers 06h15 du soir le bâtiment fut torpillé
sans avertissement et avant que nous ayons pu apercevoir quoi que ce
soit.
Le bateau, touché mortellement, sombra en trois ou quatre minutes ce
qui fit que nous eûmes à peine le temps de mettre les embarcations à
la mer. L’une d’elle, entrainée par le remous du navire qui
s’enfonçait, chavira, projetant tout le personnel qu’elle contenait
à la mer.
Je fus moi-même entrainé par le navire et ce ne fut qu’arrivé à une
certaine profondeur que je réussis à me dégager et à remonter à la
surface. Avec l’embarcation restée à flot, tous les survivants
raccrochés à des épaves furent recueillis et, la nuit venue, nous
fîmes route vers la terre qui se trouvait à 20 milles environ du
lieu du naufrage. Nous passâmes toute la nuit dans la baleinière et
ce ne fut que le Mercredi matin vers 10h00 que nous fûmes recueillis
par un torpilleur qui nous ramena à Bizerte.
Arrivés dans ce port, nous fîmes l’appel des rescapés et nous eûmes
la douleur de constater que quinze d’entre nous manquaient.
Monsieur Dupart, mon regretté capitaine, se trouve au nombre des
disparus, ainsi que Monsieur Fabre.
Nous arrivions tous deux sur la passerelle au moment où l’explosion
se produisit. Nous nous sommes retrouvés ensuite près de
l’embarcation qui a chaviré. Il aura sans doute péri en voulant
sauver les papiers et valeurs du bord. En recueillant les naufragés,
nous ne l’avons pas aperçu.
Croyez bien, Madame, que je m’associe au malheur qui vous frappe,
car Monsieur Dupart était l’homme bon par excellence, et le plus
estimé de tous ses collègues et subordonnés. Il ne vous reste plus
maintenant que votre petit Léon, image vivante du cher disparu.
Toute votre affection se reporte sur lui pour en faire dans quelques
années un homme parfait comme le fut son père.
Je compte partir d’ici vers le 15 pour la France. Je me rendrai à
Nantes, où vous pouvez m’écrire si vous avez besoin de quelques
renseignements complémentaires. Monsieur Noel est actuellement en
traitement à l’hôpital de Sidi Abdallah. Il se trouvait juste au
dessus de l’explosion et a eu les deux jambes abimées, à tel point
qu’hier on lui a amputé la jambe droite. Son état nous paraît assez
inquiétant. Nous avons télégraphié à Madame Noel pour la
tranquiliser car tout espoir n’est pas encore perdu étant donné les
soins dévoués qui lui sont prodigués par le personnel de l’hôpital.
Au revoir, Madame . Soyez courageuse. Songez que chaque jour, des
milliers de Françaises subissent la même épreuve sans défaillance.
Embrassez bien fort votre petit Léon pour moi.
Veuillez
agréer, Madame, l’expression de mon plus profond respect.
Signé Georges Bichon
Deuxième lettre trois semaines
plus tard...
Nantes, 27 Avril 1917
Chère Madame,
Je suis arrivé ce
matin de Bizerte via Marseille, où je suis resté trois jours pour
régler certaines questions d’ordre administratif. J’ai trouvé la
lettre de Monsieur Lesène et, répondant au désir qu’il exprime de
recevoir tous les détails sur la fin tragique du Saint Simon, je
vous adresse copie du rapport que j’ai déposé à Sidi Abdallah.
Parlant de Monsieur
Dupart dans ma lettre du 8 Avril, je ne me suis peut-être pas
expliqué très clairement en vous disant : « Nous trouvant ensemble
sur la passerelle au moment de l’explosion, nous nous sommes
retrouvés près de l’embarcation qui a chaviré. Il aura sans doute
péri en voulant sauver les papiers et valeurs du bord ».
A partir de ce
moment-là, je ne l’ai plus revu, ayant été moi-même projeté à la
mer. Mais un matelot, le nommé Gouriou, (nota : François Gouriou,
de Martigues) m’a déclaré avoir entendu Monsieur Dupart lui-même
dire qu’il allait chercher les papiers en question, et qu’ensuite il
l’avait vu entrer dans sa cabine, sans le voir ressortir.
Personne ne l’a vu
prendre place dans l’embarcation qui chavira. Ce qui semblerait
expliquer la chose, c’est que pendant la première minute le navire
s’enfonçait assez lentement, alors qu’ensuite l’arrière disparut
tout d’un coup, le navire coulant presque verticalement.
Le dessin ci-contre
vous donnera une vague idée de ce qui s’est passé. C’est sans doute
à ce moment que Monsieur Dupart a du être surpris dans sa cabine,
sans pouvoir se dégager.
On peut ajouter à
cela la possibilité d’une congestion, le repas du soir étant
seulement terminé depuis vingt minutes quand le navire fut torpillé.
Voici, chère Madame,
tout ce que je puis vous communiquer concernant la disparition de
mon cher capitaine. J’ai la douleur de constater avec vous que tout
espoir semble désormais perdu, et je vous assure que je suis
profondément affecté par le malheur qui vous frappe.
C’est aussi un deuil
général pour le personnel officier de la compagnie qui avait su
apprécier la bonté, la droiture, le caractère particulièrement
affable du cher disparu. Puisse cette certitude être un
adoucissement à votre douleur.
Quand j’ai quitté
Bizerte, j’ai laissé Monsieur Noel, amputé de la jambre droite, dans
un état satisfaisant permettant de prévoir une heureuse issue. Vous
décrire les souffrances qu’il a endurées serait superflu, mais il
est bon de noter qu’il a fait preuve d’une force morale et d’une
endurance extraordinaires.
Veuillez embrasser
votre petit Léon, me rappeler au bon souvenir de Monsieur Lesène et
recevez, chère Madame, l’expression de mon plus profond respect.
Georges Bichon
De tels documents nous font revivre, avec beaucoup d’émotion, ce que
vécurent des centaines de milliers de familles au cours de ce
terrible conflit. (O.Prunet)
Le commandant Léon
Dupart fut fait chevalier de la Légion d’Honneur le 22 Octobre 1919
------------------------------
Rôle d'Equipage en date du 3 Avril
1917
RESCAPES
Nom
Prénom
Grade
Matricule
Quartier
BERTRAND
Alexandre
Canonnier breveté
14646-4
BICHON
Georges
CLC 2e Capitaine
19
Noirmoutier
CREAC'H
Bernard
Matelot
4809
Arcachon
CROCHARD
Lucien
Boulanger
1884
Fort de France
GLOAGUEN
Jean
Soutier
2841
Douarnenez
GOURIOU
François
Matelot
5262
Martigues
LE TOUZE
Corentin
Matelot
5712
Concarneau
MERIEAU
Edmond
Chauffeur
1669
Les Sables d'Olonne
MOUTTE
Bernard
Matelot
11663
Toulon
NOEL
Ernest
Chef Mécanicien
6471
Le Havre
PATELAUR
Adrien
Graisseur
3164
Martigues
ROZEN
Yves
Graisseur
4240
Audierne
SIOU
Pierre
4e Mécanicien
6494
Bordeaux
THINEVEZ
Auguste
2e Lieutenant
75
Dunkerque
TONNERRE
Nicolas
Matelot
1880
Groix
TREHUN
Louis
Canonnier aux.
11059
Lorient
Fait PRISONNIERS
LE BERRE
Paul
Cuisinier
LE CAM
Yves
Matelot
DISPARUS
BEUIL
Emilien
3e Mécanicien
BREARD
Eugène
Télégraphiste
CHAUFFAUX
Pierre
Chauffeur
OLLIERIC
Victor
Matelot
Belle-Ile
DELPIERRE
Maurice
Graisseur
3981
Dunkerque
DIOM
Yol
Soutier
Sénégalais
DUPART
Léon
CLC Commandant
643
Saint Malo
FABRE
Jules
Second Mécanicien
FAOURA
Cissé
Soutier
Sénégalais
MAMADOU
Touré
Soutier
Sénégalais
MILLIE
Albert
QM Canonnier
OUMAROU
Soutier
Sénégalais
RIOU
Roland
1er Lieutenant
TICOS
Louis
Chauffeur
Ouessant
VETERAN SAINT CLAIR
Soutier
3139
Pointe à Pitre
En bas à droite,
le Commandant Dupart
Nicolas TONNERRE
(1889 - 1950)
Au hasard de ses
recherches, Olivier a retrouvé la descendance de ce marin originaire de Groix.
C'est lui qui avait réussi à mettre à l'eau l'embarcation bâbord, permettant
ainsi de sauver une partie de l'équipage. Il était fils d'un marin de Groix,
prénommé aussi Nicolas, qui s'était noyé vers 1910, âgé de 50 ans. Parti à la
pêche dans un petit canot de 4 m avec un camarade, ils avaient été surpris par
un coup de vent et leur barque avait chaviré devant Locmaria. Le corps de
l'autre pêcheur avait été retrouvé sur la plage de Locmaria, et celui de
Tonnerre un mois plus tard sur la côte de l'île d'Hoedic. Le matelot du Saint
Simon avait eu un fils et une fille. Son fils, prénommé également Nicolas,
avait 18 mois en 1917 et il est toujours vivant. Malheureusement, n'ayant pas
été élevé par son père, il n'a aucun souvenir de récit que celui-ci aurait pu
lui faire mais il se souvient d'avoir entendu parler d'un naufrage dans lequel
il s'était illustré et qu'il avait dans cette circonstance reçu une décoration.
De toutes les familles de Groix portant le nom de Tonnerre, cette famille est la
seule dans laquelle on porte le prénom Nicolas de père en fils.
Auguste THINEVEZ (1870 - 1922)
A l'occasion d'une conférence sur les Marins de la Grande
Guerre, Olivier a fait la connaissance de l'arrière petit-fils
du Lieutenant Thinevez qui se trouvait à bord du Saint Simon le
jour du torpillage. Cet officier avait été blessé au cours de
cet engagement et les suites de cette blessure devaient finir
par être fatales cinq ans plus tard. Une
biographie d'Auguste
Thinevez est disponible sur ce site.
Cette page a été réalisée avec la collaboration des descendants du
Commandant Dupart et du Capitaine au Long Cours Olivier Prunet,
petit neveu de Georges Bichon.