LE DESASTRE D'UNE OPERATION TUNNEL
CARACTERISTIQUES
PRINCIPALES
Carrière Commandé par le Capitaine de Vaisseau George Voelcker, le croiseur Charybdis a connu une grande activité au cours de ses deux années d'existence. Au terme de sa période d'entrainement à Scapa Flow pendant l'hiver 1941 puis en Mars 1942, il participait à l'opération SN 87, couverture d'un mouillage de mines dans les Atterrages du Nord avant de prendre le chemin de la Méditerranée le mois suivant. Basé à Gibraltar et transféré au North Atlantic Command, il participait alors à plusieurs missions de recherche (Opérations LB et Salient) des raiders de surface allemands ainsi qu'à des escortes de convois. En Juin, affecté à la Force W, il participait à l'opération Harpoon pour renforcer l'escorte d'un convoi vers Malte. Il était vital de conserver cette île mais malgré une furieuse défense de l'escorte contre des attaques aériennes, des sous-marins et des vedettes rapides, seulement deux cargos arrivaient à destination. En Juillet, il participait aux opérations Pinpoint et Insect, destinées à renforcer la protection aérienne de Malte. Le mois suivant, une escorte encore plus imposante composée de 2 bâtiments de ligne, 5 porte-avions, 7 croiseurs et 28 destroyers était assemblée pour l'opération Pedestal qui devait convoyer 14 cargos vers l'île dont la situation devenait désespérée. Après trois jours et trois nuits de combat contre toutes les forces qu'Allemands et Italiens avaient lancé contre ce convoi, 3 cargos atteignaient finalement Malte qui était ainsi sauvée. Suivirent des missions de protection anti-aérienne vers l'île, dans le cadre de l'opération Baritone.
En
Septembre et Octobre 1942, le croiseur patrouillait l'Atlantique à la recherche
des raiders et des forceurs de blocus allemands. Fin Octobre, il participait à
de nouvelles missions de protection anti-aérienne au cours de l'opération
Train. Transféré le 25 Novembre 1942 à la 12e Escadre de croiseurs
au sein de la Force H, HMS Charybdis
appareillait de Gibraltar, soutenant les débarquements alliés à Alger puis à
Bizerte durant l'opération Torch. Le 12 Décembre 1942, il prenait la mer pour
rejoindre la Home Fleet.
Durant les
trois premiers mois de 1943, il opérait dans le secteur de Scapa Flow, couvrant
des opérations de pose de mine et de patrouilles en Mer du Nord mais en Avril,
il était transféré temporairement au Commandement Naval de Plymouth d'où il
participait à des convoyages dans le Golfe de Gascogne.
De retour
à Gibraltar en Aout 1943, il effectuait plusieurs missions d'escorte de convois
en Méditerranée. En Septembre, au sein de la Force V, il accompagnait les débarquements
de Salerne. A cette occasion, il était activement engagé dans des actions
d'appui feu et de défense anti-aérienne. En Octobre 1943, c'était le retour
à Plymouth, accueilli avec plaisir par son équipage. Ce retour devait hélas
lui être fatal au cours d'une opération Tunnel dans la nuit du 22 au 23
Octobre 1943.
Operations Tunnel
Ce type
d'opération initié et contrôlé par le Commandement en Chef de Plymouth, était
activé quand les services de renseignement ou de reconnaissance faisaient
apparaitre comme évident que les Allemands allaient engager un convoi le long
des côtes de Bretagne entre Brest et Saint Malo. Aucune force spécifique n'était
allouée à ce type d'opération et aucun entrainement n'était fait dans ce
but. Lorsqu'il était besoin de déclencher une telle opération, le C in C
Plymouth faisait le tour des unités disponibles tandis que l'organisation
tactique était laissée au soin de celui qui était désigné comme
"Senior Officer". Une certaine continuité existait néanmoins grâce
aux destroyers de la classe Hunt appartenant à la 15 D.F. mais leur manque de
vitesse et la faiblesse de leur armement réduisait leur valeur opérationelle.
L'opération était systématiquement déclenchée avec un assemblage d'unités
dont peu d'entre elles avaient au préalable opéré ensemble, ce qui était
souvent contesté par divers commandants.
La dernière mission
Le croiseur HMS Charybdis, Captain George A. Voelcker, appareilla de Plymouth le
22 Octobre 1943 en fin d'après-midi, à la tête d'une force d'intervention
composée de 5 destroyers afin d'intercepter le forceur de blocus allemand Munsterland,
Capt. Karl Schulz, qui avait quitté Brest le même jour vers 16 heures en
direction de l'Allemagne. Selon les informations communiquées au Commandement
en Chef de Plymouth, le cargo allemand n'était escorté que par 4 avisos
dragueurs de type M et 2 patrouilleurs de type V. Mais à 18 heures, cinq
torpilleurs de la classe Elbing appartenant à la 4-TF, Chef de Flottille T-23,
prenaient la mer à leur tour avec pour mission de couvrir le flanc nord du
convoi.
Le Commandement naval de Plymouth
avait décidé
de monter une opération Tunnel afin de procéder à une interception de ce
convoi avec les moyens alors disponibles. Outre le croiseur Charybdis,
les destroyers HMS Limbourne, Stevenstone, Talybont, Wensleydale tous appartenant à la classe
Hunt furent désignés pour l'opération. Au dernier moment, il leur était adjoint
les destroyers Grenville et Rocket
navires de la classe Fleet. L'ensemble de cette petite escadre était placé sous
le commandement du croiseur avec pour adjoint le commandant du Limbourne.
Ce choix peut aujourd'hui sembler contestable car le Charybdis,
croiseur anti-aérien, n'avait aucune expérience en matière de combat de
surface dans la région de la Manche, mais en fait il ne faisait qu'octroyer le
commandement à l'officier dans le grade le plus élevé comme c'est généralement
le cas.
Vers minuit, un message émanant de
la station radar allemande de l'île de Batz signalait au convoi la mise en
route d'une force d'interception, ce qui fut ensuite confirmé à 0 heure 47.
Les torpilleurs de la 4-TF sur ordre de leur Chef de Flottille, le Korvetten
Kapitän Kohlauf, faisaient alors mouvement vers une position bien au nord du
convoi afin d'être en mesure de s'attaquer à la force britannique depuis un
secteur où on ne les attendrait pas.
A 1 heure 30, le radar du Charybdis
détectait le convoi et son Commandant donnait l'ordre d'accélérer à 25
noeuds. L'orde fut d'une part difficilement compris par les autres navires et
d'autre part, le croiseur plus
puissant que les destroyers les distança rapidement, se trouvant ainsi isolé.
Dix minutes plus tard, entre deux averses, les veilleurs du torpilleur T-23,
Kplt Friedrich Paul, repéraient le croiseur. Ordre était aussitôt donné de
tirer une gerbe de torpilles en direction des Anglais.
Au même moment, le Charybdis
qui n'avait pas vu les torpilleurs, repérait le Munsterland
et ouvrait le feu avec des obus éclairants. C'est à cet instant que deux
torpilles du T-23 faisaient but sur le
croiseur qui s'immobilisait en donnant de la bande. Derrière lui, le Limbourne qui revenait en position dans le sillage du Charybdis
était à son tour touché par le T-22 à hauteur de la passerelle. La
violence de l'explosion fut telle que le destroyer en fut coupé en deux, la partie
avant coulant aussitôt tandis que
l'arrière se maintenait à flot.
Ayant épuisé leurs torpilles, les
navires allemands ouvraient alors le feu au canon sur la force anglaise, tirant
plusieurs dizaines de projectiles en l'espace de quelques minutes sans réellement
mettre en danger les destroyers qui, faute de directives du Charybdis,
décrochaient du combat dans diverses directions.
A 1 heure 50, l'évacuation du
croiseur commençait et se poursuivit durant moins de 10 minutes car le navire
s'enfonça alors rapidement par l'arrière et disparut sous la surface.
Le convoi allemand faisait alors
route sur le port de Lézardrieux où le Munsterland
entra sans encombres tandis que la 4-TF craignant sur la base de renseignements
erronés, la présence d'une autre force anglaise, qu'elle n'aurait pu
affronter ayant épuisé la quasi totalité de ses torpilles, mettait le cap sur
Saint Malo qui était atteint à l'aube.
Côté anglais, il règna une
certaine confusion faute de directives par suite de la perte quasi simultanée de ces deux unités
qui assuraient le commandement. Ce n'est que deux heures après le torpillage
que la flottille conduite par le Grenville
qui entre temps avait pris le rôle de Senior Officer, revint sur les lieux et
sauva une centaine de rescapés. La partie arrière du Limbourne qui flottait toujours fut évacuée et dut être torpillée
par le destroyer Rocket afin qu'elle
ne soit pas récupérée par l'adversaire.
Cette interception mal préparée
avec des moyens en partie inadaptés coûta en définitive à la Royal Navy,
deux navires et 504 officiers et marins dont 462 sur le seul Charybdis.
Le Munsterland quant à lui reprenait
la mer dès le lendemain soir et parvenait sans encombres à Cherbourg.
HMS
CHARYBDIS a reçu les médailles commémoratives suivantes :
Malta
Convoys 1942
English
Channel 1943
Chevalier de l'Ordre de la Croix de Fer allait être tué au combat le 26 Avril 1944 alors que Chef de Flottille de la 4-TF, il avait pris passage à bord du T-29 qui était coulé au large des Héaux de Bréhat. Cet officier brillant n'avait pas encore 34 ans. Friedrich Karl Paul Ancien officier de la Marine Marchande, Chevalier de l'Ordre de la Croix de Fer en date du 9 mars 1945, il avait commandé le torpilleur Jaguar avec lequel il avait participé à l'escorte des cuirassés Prinz Eugen, Scharnhorst et Gneisenau lors de leur raid à travers la Manche en Février 1942, son navire abattant 3 avions au cours de cette action. Au mois d'octobre suivant, il capturait une vedette anglaise lors de l'attaque des commandos sur Saint Nazaire (Episode mis en images par la BBC avec sa participation). Il allait survivre à la guerre qui s'achevait pour lui dans le poste de Chef de Flottille de la 2-TF en mer Baltique.
Il est décédé dans sa
89e année le 1 mai 1998 à Zierenberg où il est inhumé. J'ai eu le réel plaisir
de le connaître personnellement, c'était un homme d'une grande humanité ainsi
que j'ai pu m'en rendre compte lorsque par une froide journée de novembre 1975
nous sommes allés nous incliner sur la tombe du Captain Voelcker au cimetière de
Dinard. Par la suite j'ai pu le faire entrer en contact avec des anciens du Charybdis et il est tout naturellement devenu l'ami de plusieurs d'entre eux,
participant même une fois à l'une de leurs réunions annuelles.
William J. Trethowan En 1973, je faisais la connaissance de Madame Veuve Gicquel de Lancieux près de Dinard qui me racontait comment un après-midi de novembre 1943 son époux avait trouvé sur la plage le corps d'un marin anglais, roulé par les vagues. Il l'avait alors sorti de l'eau tandis que deux militaires allemands arrivaient à leur tour sur les lieux et lui faisaient savoir qu'ils allaient s'en occuper. Après avoir fouillé le cadavre sans rien trouver permettant de l'identifier, ils l'avaient fait transporter en l'église du village où le menuisier l'avait alors placé dans un cercueil en prévision de son inhumation le lendemain. Pendant cette opération, Mr Gicquel avait alors remarqué un léger renflement dans une poche latérale de la tenue de ce marin, détail qui avait échappé aux soldats allemands. Soupçonnant qu'il pouvait se trouver là un élément pouvant être important, les deux français étaient revenus en l'église dans la nuit puis avaient ouvert le cercueil. A l'aide d'un rasoir, ils avaient découpé la poche suspecte et en avaient extrait une lettre... Cette lettre qu'ils faisaient alors sécher permettait d'identifier le jeune homme. Il s'agissait de William Trethowan, un Marine de 20 ans du croiseur Charybdis. Au matin, une plaque métallique portant le nom du défunt était apposée sur le cercueil qui après avoir reçu les honneurs militaires et religieux était alors transféré au cimetière de Dinard où il repose depuis au milieu de ses frères d'armes sous une stèle qui porte son nom, ce qui n'est pas le cas de tous.
M'ayant narré cette histoire, elle me montrait alors la lettre qu'elle avait toujours pieusement conservée ainsi qu'un bouton de l'uniforme du jeune homme que son mari avait prélevé durant cette nuit à l'église avec l'espoir de pouvoir les faire un jour parvenir à la famille. Après la guerre, elle avait tenté de retrouver des proches par l'intermédiaire de la Croix Rouge mais en vain. J'acceptais alors bien volontiers de reprendre cette recherche. Elle fut longue mais finit par aboutir. William Trethowan était célibataire et sa seule parenté connue de la Navy était sa mère qui demeurait 15 ans auparavant dans un petit village du Pays de Galles. La piste était ténue mais finalement elle aboutit et un mois plus tard, je recevais un courrier de Gilfach Goch : une journaliste locale qui me répondait au nom de Mme Trethowan. Quelque temps après, la vieille maman prenait possession de cette lettre (la dernière qu'elle avait écrite à son fils) ainsi que du bouton de son uniforme. Elle en fut très touchée et apaisée de savoir où, comment, par qui avait été trouvé son fils et surtout qu'il était passé par l'église avant d'être inhumé. Nous avions formé le projet de la faire venir jusqu'à Dinard mais elle était déjà très âgée et sans doute, désormais en paix, elle quittait cette terre peu de temps après.
Epave Position 49.00.480N, 03.35.860W (Eur50) par fond moyen de 80 mètres. Cette épave est classée sépulture de guerre.
Les photos ci-dessus sont © Leigh Bishop, Deep Shipwreck Photography et reproduites avec son aimable autorisation. A voir egalement, cette video de l'épave
Traduction du journal de guerre (KTB) du T23
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