La rencontre de deux destins

Lieutenant Marie-Ange Chéhu  -  Kapitänleutnant Walter Remy

 

 

 

   L'histoire qui suit n'est pas en soi extraordinaire, elle n'est que le quotidien de ce qu'était la guerre sous-marine en 1917. J'ai été amené à enquêter sur ce sujet à la demande de la petite fille du Lieutenant Chéhu et de fil en aiguille, à retrouver nombre de documents au cours d'une passionnante plongée en archives. Une obscure page d’histoire à l’échelle du conflit, mais une page capitale pour ceux qui l’ont vécue. Et qui à mon sens trouve toute sa place ici.

 

16 Septembre 1917

   Sur les bancs de Terre-Neuve, le trois-mâts goélette Jeannette de Saint Malo, sa cale pleine de 220 quintaux de morues prend le chemin du retour vers la France. Il est en pêche depuis le début avril. Derrière lui, six mois de solitude et de dur labeur.

   A Wilhelmshaven, ce même jour, le sous-marin U 90 appareille pour sa première mission de guerre. Secteur d'opération : le Golfe de Gascogne.

   A leurs bords respectifs, le Lieutenant de pêche Marie-Ange Chéhu, 38 ans et le Kapitänleutnant Walter Remy, 34 ans, deux hommes que rien ne prédisposait à se rencontrer et qui vont voir se croiser les routes de leurs destinées. Le premier est le Second de la Jeannette, le deuxième est le Commandant de l'U 90.

Marie-Ange CHEHU  Né le 19.4.1879 à Bourseul (Côtes d'Armor), il est domicilié au bourg de Corseul (22) et a commencé sa carrière de marin-pêcheur à Terre-Neuve, comme mousse. Jeune homme intelligent, il gravit peu à peu les échelons qui le conduisent à devenir Lieutenant à bord de la Jeannette sur laquelle il a déjà effectué plusieurs saisons de pêche. Il est marié et père de trois enfants et a bon espoir de se voir bientôt confier le commandement d'un trois-mâts terreneuvas.

 

Walter REMY  Né le 1.7.1883, Walter Remy est un Allemand descendant d'une famille huguenote ayant fui la France à la Révocation de l'Edit de Nantes (18.10.1685). Entré dans la Marine Impériale en avril 1901, il a commencé la guerre comme officier artillerie sur le croiseur SMS Schwaben avant de se tourner vers l'arme sous-marine. Il passe une grande partie de l'année 1916 à l'école de Navigation sous-marine et reçoit le 15.10 le commandement de l'U 24. Le 2.8.1917, il quitte ce sous-marin pour prendre le commandement de l'U 90, un sous-marin neuf. Après un mois d'essais et d'entrainement, l'U 90 est rattaché à la 3 U-Flottille et basé à Wilhelmshaven.

2 octobre 19h00

   A 300 milles des côtes françaises, la Jeannette qui n'est plus qu'à deux jours de mer de Bordeaux son port de déchargement, est interceptée par l'U 90 à la nuit tombante. Un coup de semonce tiré sur l'avant et son équipage de pêcheurs doit abandonner le navire. Une heure plus tard, les doris sont rejoints par le sous-marin. Le commandant Remy fait venir à son bord le Lieutenant Chéhu et son Capitaine où après  les avoir questionnés, il déclare le navire "de bonne prise" en conséquence de quoi il va donc être coulé mais avec la nuit qui est maintenant tombée, la destruction du trois-mâts est remise au lendemain matin. Pas question non plus de retourner à bord chercher des vivres alors, les 24 marins pêcheurs se répartissent dans les doris car le sous-marin en garde un pour se rendre à bord du voilier qui sera sabordé le lendemain matin puis ils mettent cap à l'est dans une mer houleuse.

Le canon de 105 ouvre le feu - Peinture de Claus Bergen  

   A l'aube du 3 octobre, le trois-mâts a disparu derrière l'horizon mais une heure plus tard, l'écho de plusieurs coups de canon perçu par les naufragés marque la fin de leur navire. Avant la fin de journée, dans une mer de plus en plus houleuse, les doris ne sont plus en vue les uns des autres. Désormais, c'est chacun pour soi et l'espoir pour tous.

  Le 5 Octobre, le trois-mâts Buffon, faisant route pour l’Australie, recueille un premier doris avec cinq hommes à bord. Transférés peu après à bord d'un croiseur anglais, ils débarqueront au Brésil avant de pouvoir rejoindre la France.

 Le 7 Octobre, la goélette Gardénia recueille un second doris avec 5 hommes et les débarque à La Pallice.

  Le 8 Octobre, le cotre de pêche Rossignol recueille un autre doris en dérive avec quatre hommes à bord. Ils seront débarqués à Lorient.

  Le 10 Octobre, exténué après une semaine de dérive, le Capitaine Commereux fait terre avec son doris et 3 hommes à Saint Jean-de-Monts (Vendée).

  On ne reverra jamais l’embarcation de Marie-Ange CHEHU ni aucun de ses cinq compagnons d’infortune. Leur doris plus chargé que les autres aura sans doute chaviré dans le mauvais temps de cette première semaine d’octobre.

  Le sous-marin U 90 poursuivant sa patrouille ne rencontrera plus d'autre navire à couler et remontera la Manche avant de regagner sa base le 16 octobre. Il survivra à la guerre, tout comme Walter Remy qui prendra ensuite le commandement de l'U 137.

   Marie-Ange Chéhu sera déclaré "Mort pour la France" et recevra à titre posthume la Médaille Militaire.

 

 

 

J'ai eu le plaisir de rechercher cette histoire à la demande de la famille du Lieutenant Chéhu. Ce travail s'est concrétisé sous la forme d'une biographie

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